Mon documentaire préféré cette année: Les damnés de la mer

Les damnés de la mer

Aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal j’ai vu un film formidable, intitulé Les Damnés de la mer – qui a reçu le prix du meilleur film dans la section Écosociété. C’est aussi un film qui a eu un impact dans la réalité qu’il décrit. Le réalisateur Jawad Rhalib filme avec aplomb la surexploitation des ressources de pêche du Sud de la côte Atlantique du Maroc par d’énormes chalutiers venant d’autre pays, qui laissent les pêcheurs côtiers dans une situation intenable de pénurie et de misère. Rhalib a eu accès à des chalutiers Suédois qui sortent de l’eau d’énormes quantités de poisson à l’aide d’instruments ultra-modernes mais aussi de méthodes illégales. Les images sont impressionantes. Il les met en contraste avec le matériel tourné de façon très subtile, près des personnages, dans le village côtier de La Sarga, ou les pêcheurs ne savent plus quoi faire pour assurer leur survie. Et au coeur de cette situation il situe une femme, Ghizlaine, qui se bat contre une discrimination bien installée qui réserve le droit de pêcher aux hommes. C’est un coup de génie qui donne une dimension additionelle à un film déjà porteur de problématiques essentielles.

J’ai posé deux questions à Jawad Rhalib.

Ton film a l’air tellement parfait. Est-ce que tu l’avais scénarisé, ou imaginé comme il est là, ou les morceaux sont tombés en place à mesure que tu travaillais ?

Jawad: Si vous avez l’occasion de voir mon avant-dernier film “El Ejido, la loi du profit”, vous comprendrez ma façon de filmer, de traiter mes sujets, de leur donner la parole. Il y a toute un processus de repérage, de rencontre avec les personnes et d’écriture, il y a un canevas, un traitement qui me permet de savoir où aller. Je ne filme jamais à l’aveuglette, je ne pars jamais à la chasse à l’image et dire « on filme et on verra ce que nous ferons avec les images après », je suis contre ce procédé sauf si on fait du reportage d’investigation. J’ai une histoire, des personnes et je décide de la façon dont je vais les mettre en avant, mettre au devant de la scène leur message, choisir la meilleure forme. Bien entendu, il y a toujours des surprises vu que ce sont des personnes réelles, mais généralement ce sont toujours de bonnes surprises. Un réalisateur doit avoir aussi de la chance.

Pour Ghizlane, oui, au moment où je l’ai rencontré je savais qu’elle allait être mon personnage central, mais il y aussi l’histoire de la fête du mouton. Ghizlane était l’élément qui ramenait un peu l’histoire à sa dimension humaine. J’ai toujours était sensible à la situation de la femme dans mon pays d’origine, et avoir une histoire de femme au milieu de la mondialisation, le profit, la globalisation était tout simplement parfait. Ghizlane c’est un peu l’histoire dans l’histoire. Bien sûr, il ne faut pas mettre de côté les autres personnes qui restent aussi forts que la femme.


Le film a aidé à forcer des changements de politique, tu peux nous en parler ?

Jawad: Il y avait quelques mouvements mais c’était très timide. A croire que les mouvements en question avaient besoin d’une preuve pour dire au monde ce qui se passe dans ce coin du Maroc. Pour dire aux marocains ce qui se trame dans leur propre pays, avec leur propre ressource et pour dire au monde ce que le Nord, avec son poids politique et économique, inflige au sud. Dakhla et le Maroc n’est qu’un exemple de ce qui se passe dans le monde, en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud. Oui, je ne boude pas mon plaisir de dire que le film, comme El Ejido, la loi du profit, a apporté des changements inespérés. Il y a le gouvernement suédois qui vient de prendre des décisions pour réduire, voire interdire à sa flotte de piller les ressources du sud, il y a le gouvernement marocain qui vient d’arrêter les deux chalutiers suédois, et entrain de mettre en place de nouvelles lois pour la protection des ressources, et enfin il y a un changement de la loi vis-à-vis des femmes qui veulent devenir « pêcheuses ». Et Ghizlane vient d’avoir son permis de pêche. Il faut savoir que Ghizlan sortait en mer sans permis, et si elle se faisait arrêter, elle risquait la prison et le patron de la barque une amende et la perte de sa barque. Aujourd’hui le film sert de preuve et de support pour changer les choses.

Merci à Jessica Berglund pour l’aide avec le blogue.

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Magnus Isacsson

As an independent documentary filmmaker I have made some fifteen films dealing with social, political and environmental issues. Previously I was a television and radio producer. I was born in Sweden in 1948, immigrated to Canada in 1970. I live with Jocelyne and our daughter Béthièle in Montreal, and my older daughter Anna lives in Toronto.