8, la fiction au service de l’engagement

J’étais invité à l’ouverture du 4ème Festival de Films sur les Droits de la Personne de Montréal il y a quelques jours mais je n’ai pas pu y aller. Mon proche collaborateur Franck Le Coroller s’y est rendu à ma place et nous fait le résumé suivant.

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Affiche du film 8

La salle était pleine à craquer. On aurait pu s’attendre à voir un documentaire en film d’ouverture, genre de prédilection pour l’engagement et la justice sociale mais c’est une compilation de 7 courts métrages de fiction et d’un documentaire qui était à l’honneur.

Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) : un plan clair qui s’est probablement effacé peu à peu de notre mémoire. Voilà déjà 9 ans que 191 gouvernements ont adopté officiellement un plan visant à éliminer la pauvreté dans le monde d’ici 2015. LDM Productions a eu la fabuleuse idée de convoquer 8 réalisateurs de renom et leur a laissé carte blanche pour traiter chacun d’un de ces 8 objectifs. Ce film s’adresse à tout un chacun mais vise surtout à rappeler aux gouvernements leur engagement vis-à-vis des plus démunis de notre planète. À mi-parcours, les objectifs paraissent malheureusement bien loin.

Une magnifique séquence d’ouverture nous rappelle les étapes ayant mené à l’adoption de ce plan depuis la seconde guerre mondiale avec notamment la transformation de la Société des Nations en l’ONU et la dégradation accélérée de la condition humaine de par le globe. Des images d’archives des dirigeants de ce monde sont projetées sur un corps maigre et nu. Le ton est donné : ce film vous rentre dans le corps.

La plupart des courts métrages, tournés un peu partout sur la planète, abordent leur objectif à travers le portrait d’une personne. Le journal d’une petite fille, le rêve d’une autre, les pensées d’un petit garçon, la maladie d’un homme, le sort d’une femme enceinte prennent le singulier pour parler d’un universalisme à résoudre. On est pris aux tripes dans les histoires de ces personnes. Un sens de la réalité sait effacer toute trace de misérabilisme. Ces petits moments magiques qui nous accrochent dans un documentaire sont habilement et subtilement mis en scène. Le documentaire c’est « le traitement créatif de la réalité », nous disait John Grierson, ne serait-ce pas valable aussi pour la fiction engagée?

Dans SIDA, le seul documentaire, Gaspar Noé nous emmène dans cette maladie et toutes celles qu’elle convie. Le traitement visuel épuré (un enchaînement quasi total de plans fixes, la nuit) met l’accent sur la voix off de l’homme que nous voyons, seul. Tout comme dans Irréversible, rien n’est épargné. La réalité brutale de cet homme nous contant son histoire est hypnotisante : ses maux, son combat, ses conseils, ses regrets et sa solitude n’ont d’égale que la triste puissance de ce virus dont la propagation doit être enrayée au plus vite, ne l’oublions pas.

8 met aussi en lumière les rapports Nord-Sud, cruciaux pour améliorer le sort de tous. Dans Le rêve de Tiya d’Abderrahmane Sissako, l’instituteur demande à Tiya pourquoi elle ne dit pas plus fort le premier objectif du millénaire qu’est la réduction de la faim et de l’extrême pauvreté. Tiya répond : « Parce que je n’y crois pas. La réduction de la pauvreté, ça passe par le partage et on ne partage pas. » Un rappel urgent et efficace. Wim Wenders dans Person To Person termine le film avec une salle d’information cynique prise d’assaut par ceux qui ont des solutions, continuant ainsi la vague d’espoir et d’engagement indispensable pour aller de l’avant. Les sujets de l’information sortent des écrans de montage et refusent qu’on ne les voit que dans la misère. Ils agissent déjà (par le micro-crédit entre autres) et convient les médias occidentaux à les suivre. C’est une superbe pirouette cinématographique de Wim Wenders pour exprimer le besoin de partenariat Nord-Sud.

Certains verront peut-être dans 8 un film de propagande mais il fait surtout l’état des lieux sur une situation qui nous concerne tous. On ne peut pas rester indifférent à notre sort commun. Et s’il y a une promesse que nos gouvernements devraient tenir, c’est bien celle-là, surtout en contexte de récession mondiale.

Depuis 2000, le gouvernement du Canada a réduit sa participation financière vouée aux Objectifs du Millénaire pour le Développement alors qu’il avait promis de l’augmenter jusqu’à 0,7 % de son PIB.

8 [site officiel du film]
Festival de Films sur les Droits de la Personne de Montréal [site officiel]

Merci à Jorge Bustos-Estefan pour l’aide avec ce blogue.

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Magnus Isacsson

As an independent documentary filmmaker I have made some fifteen films dealing with social, political and environmental issues. Previously I was a television and radio producer. I was born in Sweden in 1948, immigrated to Canada in 1970. I live with Jocelyne and our daughter Béthièle in Montreal, and my older daughter Anna lives in Toronto.