Que préparent les cinéastes du ‘Tiers-monde?’

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Danièle Lacourse, Director of the Alter-ciné Foundation.

Quels sont les thèmes abordés par les cinéastes des pays du ‘Tiers Monde’? Une façon de l’apprendre est de parler avec la Directrice de la Fondation Alter-Ciné, Danièle Lacourse. La fondation a été créée à la mémoire de mon collègue et ami Yvan Patry, cinéaste pionnier et partenaire de Danièle, décédé il y a dix ans. Le but de la fondation est de soutenir les cinéastes des pays en développement dont le travail fait la promotion des droits de l’homme et de leur attribuer deux ou trois prix en argent chaque année (pour lire sur les lauréats de l’année dernière, visitez mon post) Voici ma conversation avec Danièle:

1. En général, dans les projets que vous recevez des pays du Sud, ce sont les sujets qui priment ou il y a aussi une volonté de développer un traitement original ?

Cela varie vraiment d’un pays à l’autre, d’un projet a l autre. Je crois qu il y a de plus en plus de cineastes du sud qui se préoccupent aussi du traitement afin de donner plus d’impact a leur film. Cela se voit en particulier dans des pays où il y a une forte tradition documentaire, comme en Argentine par exemple.

En termes de nos critères, la principale exigence, c’est que le film traite des droits et libertés, compris dans son sens le plus large, i.e. autant les droits politiques, qu’économiques, sociaux, culturels, et autres. Mais si le thème est important, le traitement l’est aussi à nos yeux: la Fondation soutient le documentaire de création, donc une approche et une démarche cinématographique originale, créative, qui sert d’ailleurs souvent mieux le propos qu’un documentaire didactique, convenu ou formaté télé.

2. Y a-t il des différences notables entre les continents ? En termes de la nature des projets, et de la situation des cinéastes ?

Première différence: 75% des projets que nous recevons proviennent d’Amérique latine, donc il n’y a que 25% des projets qui proviennent d’Asie et d’Afrique. Difficile d’analyser les causes: s’agit-il seulement d’un meilleur accès à l’internet ou
d’un meilleur “réseautage”, de liens plus étroits entre documentaristes d’Amérique latine qui font circuler l’information entre leurs associations? Ou est-ce qu’il y a une plus grande production de documentaires en Amérique latine par rapport à l’Afrique et à l’Asie?
Chose certaine, les cinéastes d’Afrique et d’Asie nous semblent plus isolés que ceux d’Amérique latine, mais cela demeure une impression qui reste à vérifier.

Quant à la nature des projets, il est difficile de voir des différences thématiques entre continents, même si certains thèmes comme celui des disparitions par exemple sont beaucoup plus abordés en Amérique latine qu’ailleurs. Quant à l’approche cinématographique, elle relève aussi de la culture et de l’histoire. Par exemple, les cinéastes africains ont
souvent une approche du montage, du temps et de la durée, différente de celle que l’on trouve chez les cinéastes latino-américains, de même qu’ils accordent une importance particulière à la “parole” dans le récit.

3. Depuis que la fondation a commençé ses activités, quels sont les changements que tu as remarqué dans les projets soumis?

Une plus grande variété de thèmes et d’approches. Au début, on recevait beaucoup plus de projets strictement sur les droits politiques et économiques (répression, dictature, pauvreté, etc) avec un traitement cinématographique plutôt “classique” ou s’approchant du reportage ou de l'”outil didactique”.
Actuellement, nous recevons plus de projets traitant des questions environnementales, autochtones, d’immigration, culturelles, et le traitement est souvent plus près du cinéma direct, plus audacieux, plus personnel, plus créatif.

4. Ici j’imagine que le budget moyen d’un documentaire d’une heure est de $350.000. Qu’en est-il des propositions que vous reçevez ?

Cela varie considérablement d’un projet à l’autre. La majorité des projets ont un budget se situant entre 60,000 et 150,000$. Mais il y a aussi des projets qui se tournent avec 30,000$ ou moins: dans ce cas, le réalisateur ou la
réalisatrice a souvent accès à de l’équipement de tournage et de montage “prêté”. Dans le cas du documentaire “Oscar” de l’Argentin Sergio Morkin par exemple, le budget était minime. Sergio filmait lui-même avec des caméras empruntées à droite et à gauche; il recyclait ses cassettes de tournage; et tous ses amis étaient mis àcontribution pour aider à réaliser le film. Les petites caméras numériques ont aussi contribué à “démocratiser” le documentaire en coupant les coûts de
production. Dans le cas de “Raymundo”, les réalisateurs avaient installé leur petite unité de montage dans leur salon, ce qui leur a permis de monter pendant toute une année, ce qui aurait été impensable s’ils avaient dû louer une salle de montage. Ce que nous avons pu constater aussi, c’est que, quand il y a urgence, ces cinéastes trouvent toujours le moyen de faire leur film, meme sans financement extérieur

5. Comment ses films du Sud sont-ils distribués ?

Beaucoup de ces films sont présentés dans des festivals (le film “Raymundo” parexemple a remporté 15 prix dans divers festivals à travers le monde), ce qui permet une certaine visibilité. Mais ils sont surtout distribués dans divers réseaux locaux et nationaux: organismes impliqués dans la défense de droits et libertés, organisations de quartiers et organismes communautaires, syndicats, universités, etc. En général, les réalisateurs et réalisatrices accompagnent cette distribution de leur film et entrent en contact direct avec le public concerné.
Parfois aussi, certains documentaires (comme “Keiskamma une histoire d’amour”) ont été présentés sur une chaîne de télé nationale (SABC en Afrique du Sud), ce qui leur donne la possibilité de toucher un autre public.

(Merci à Steven Ladouceur pour son aide avec ce post)

Published by

Magnus Isacsson

As an independent documentary filmmaker I have made some fifteen films dealing with social, political and environmental issues. Previously I was a television and radio producer. I was born in Sweden in 1948, immigrated to Canada in 1970. I live with Jocelyne and our daughter Béthièle in Montreal, and my older daughter Anna lives in Toronto.