“La clé 56” – Chapeau Alex !

Cle 56-michele
Michèle, une patiente de l’Hôpital. Photo Alexandre Hamel.

Depuis deux ans je regarde avec intérêt ce qui se fait en documentaire pour le web. Il y a parfois des choses intéressantes, mais on est aussi souvent déçu. Beaucoup de projets sont un peu didactiques et manquent d’émotion. Les gros projets sont souvent de qualité très inégale.

Mais un de mes anciens stagiaires, Alexandre Hamel, un jeune qui a du talent en tant que cinéaste (en plus d’être patineur artistique de classe mondiale!) a réalisé un petit bijou de documentaire web qui s’appelle “La Clé 56”, sur les patients de l’hôpital psychiatrique Louis-H. Lafontaine. Jetez un coup d’œil ici a la bande annonce et ici (épisode 1) avant de lire ma petite entrevue avec Alex.

Tout le monde qui travaille en documentaire sait que c’est extrêmement difficile d’avoir accès et de pouvoir filmer à l’intérieur d’un hôpital psychiatrique. Comment tu as réussi ce bon coup?

En mai 2009, je n’avais pas de travail. Un de mes amis a attiré mon attention sur une offre d’emploi de l’Hôpital psychiatrique Louis-H.Lafontaine. L’annonce était dans le journal “Voir“. L’employeur cherchait un cinéaste pour un projet à réaliser dans l’hôpital, dans le cadre d’une campagne de sensibilisation sur Internet.

J’ai appliqué, puis j’ai passé une entrevue où les candidats devaient présenter un projet qui aiderait à déstigmatiser la maladie mentale. N’importe quel type de projet pouvait être présenté. Je suis passionné par le documentaire et je me spécialise dans le contenu web. J’ai donc présenté le projet d’une série de courtes capsules vidéos qui suivrait la vie de patients de l’hôpital.

Finalement, je n’ai donc rien “réussi”. J’ai tout simplement obtenu l’emploi!

La direction et le département des communications de l’hôpital rassemble des gens très progressistes, très “in”. C’est eux qui ont fait les premiers pas pour faire accepter une première: la présence d’une caméra dans l’hôpital. Ils se sont rendus compte que les petits vidéos genre “corpo”, et les autres stratégies de communication instutionelle habituelles n’atteindraient pas le public, seraient un coup d’épée dans l’eau et ne réussiraient pas à venir à bout des immenses tabous liés à la maladie mentale. Ils ont donc joué le tout pour le tout et ont fini par obtenir toutes les autorisations nécessaires.

C’est là qu’ils m’ont donné la Clé 56, le passe-partout de l’hôpital…

Malgré les lettres d’autorisation, mon badge, ma clé, les gardiens de sécurité ont mis quelques semaines à s’habituer à ma présence et à ne pas réagir.

Il ne restait plus qu’à convaincre les individus (travailleurs et patients) de se prêter au jeu. C’est là que la vraie difficulté commençait…

Cle 56 - infirmiere

Alexandre avec deux de ses principaux personnages.

La vraie difficulté a été de trouver les perles rares qui accepteraient de participer au projet de documentaire.

Au niveau des patients, ça a été facile. Les gens atteints de maladies mentales souffrent autant de leur maladie que du fait qu’ils ont une mauvais image de “fuckés mentaux”. De nombreuses personnes atteintes sont donc venus à moi volontairement et avec enthousiasme. Ils voulaient participer, faire leur “coming out” et jouer un rôle dans cette campagne de sensibilisation.

J’ai été supris de l’intelligence et de la vivacité des gens qui sont devenus mes sujets. En passant, la maladie mentale n’atteint aucunement l’intelligence des gens. On se trompe souvent avec la déficience intelectuelle, qui est quelque chose de bien différent.

Ça a été beaucoup plus difficile de trouver des sujets au niveau du personnel de l’hôpital. Une caméra dans leurs pattes, ça les dérangeait dans leurs habitudes. Plusieurs n’aiment pas les caméras. Et ils avaient moins à gagner dans ce projet que les personnes atteintes qui seront premières à bénéficier d’un changement des mentalités.

J’ai donc fini par trouver mes perles rares: quelques médecins, infirmières et préposés qui, malgré leur timidité, ont accepter de participer par pure générosité. Ces gens là sont extrêmement occupés… On connaît tous le débordement du sytsème de santé. Quand même, ces précieux partenaires du projet prenaient le temps nécessaire pour tout m’expliquer: les traitements, leur point de vue, plus à propos des maladies, etc. Sans eux, ça n’aurait pas fonctionné. Ils l’ont fait pour aider cette campagne de déstigmatisation.

Ces professionnels que j’ai filmé, que ce soit des médecins, des infirmières ou des préposés, ce sont l’élite de ce petit monde des soins psychiatriques. Ceux qui sont là pour aider les personnes atteintes, même si c’est au-delà de leur définition de tâche. Ça a été une belle expérience de voir ces gens à l’œuvre. Dans la petite série de 6 fois 4 minutes, on ne les voit pas assez, j’aurais voulu en montrer plus.

Et tu travailles sur une suite ?

Mon nouveau projet me permet d’explorer une réalité que j’avais aperçue brièvement à travers “Clé 56”, mais sans avoir le temps de la découvrir vraiment. 1500 patients de l’hôpital vivent dans des ressources externes, des maisons anonymes réparties un peu partout dans l’est de Montréal. Ça explique pourquoi l’hôpital qui acceuillait des milliers de patients n’a plus qu’environ 500 lits.

Cette fois, on m’a prêté une chambre dans une de ces résidences. J’ai passé énormément de temps à vivre avec et filmer des gens atteints de maladies mentales et tentant de se réintégrer doucement à la vie “normale”. La réadaptation continue durant des années après le congé de l’hôpital. C’est ça la désinstitutionalisation.

Je fais encore une série web qui sortira en mai 2011. Cette série mettra en vedette quelques résidents qui ont réalisé eux-mêmes des vidéos exprimant leur vision de la maladie mentale. Des petits bijoux…

Après, je sortirai une série télé qui passera à TV5. Je ne sais pas encore quand exactement mais ce sera 8 épisodes de 25 minutes. Ce format me permet d’aller beaucoup plus loin dans l’intimité et la réalité de mes sujets.

Et après, une deuxième petite série de capsules web sur des anecdotes du tournage.

Bref, un gros projet….

Et je suis en écriture pour d’autres choses, après. Suite à un voyage au Labrador et à Terre-Neuve, je m’intéresse présentemment au dépeuplement en région et à la pêche.

Alors, oui, ce sera bel et bien la fin de mon travail dans l’univers de la psychiatrie. La prochaine fois que j’irai à Louis-H.Lafontaine, ce sera probablement pour moi-même! ;o)

Merci à Tobi Elliot pour l’aide avec le blogue.