Photo par Simon Bujold.
Monique Simard est une des productrices de documentaires les plus dynamiques du Québec (voir biographie à la fin), et elle a une vision du rôle du documentaire dans la société que je partage entièrement. C’est pourquoi je salue sa nomination au poste de Directrice du programme français de l’ONF. Je connais bien Monique, puisque – en plus d’avoir participé avec elle à des multiples réunions de comités, délégations de lobbying et panels – elle et son mari Marcel Simard ont produit trois de mes films dans le cadre de leur compagnie Les Productions Virage. Monique a une compréhension profonde de l’ensemble du contexte institutionnel de la production documentaire, et lorsqu’elle a fêté ses 10 ans de productrice il y a quelques semaines, je lui avait demandé une entrevue pour mon blogue. Tenant compte de sa nomination, je commence par vous livrer sa réponse à ce qui était en fait ma dernière question:.
Ayant accepté ce poste à l’ONF, comment tu vois ce défi et qu’est-ce que tu comptes y accomplir ?
Monique Simard: Je peux peut-être me tromper, mais j’ai quand même bien lu, 10 fois plutôt qu’une, le nouveau plan stratégique (du Commissaire à la cinématographie Tom Perlmutter, MI) qui m’a réjouit plus que le contraire. Sinon je n’y serais pas allé, j’aurais pas intérêt – je ne m’en vais pas là pour me bagarrer inutilement. Les couleurs sont annoncées, donc il faut que je puisse agir dans un univers ou au moins dans des orientations qui me conviennent; ce qui est le cas.
C’est évident que l’ONF est sous-financée. Il faut le dire, parce que c’est vrai. L’ONF n’a pas été indexée dans ses budgets depuis… très très très longtemps. Donc dans la vie, moi je suis une femme d’affaires. Quand ton budget n’a pas augmenté et que moi, je suis obligée de produire le même film aujourd’hui avec un budget plus bas qu’il y a 5 ans, ça veut dire que j’ai vraiment beaucoup moins de moyens. Donc, c’est vrai aussi pour l’ONF et l’ONF est aussi une institution publique, avec les lourdeurs et les contraintes qu’imposent l’institution publique. Une institution publique c’est de l’argent publique; il y a des comptes à rendre , il y a de la bureaucratie, il y a des conventions, il y a des systèmes, qui font que les espaces ne sont pas aussi libres. C’est-à-dire qu’il n’y a pas un champs de liberté, je dirais, entre guillements comme je peux avoir à Virage, où je me revire de bord sur un 10 cent; si ça ça marche pas je vais faire autre chose: ‘bonjour la compagnie,’ je n’ai des comptes à rendre qu’à moi-même et je n’ai des conséquences qu’à vivre moi-même… J’ai quand même des employés. Je suis toujours très préoccupée du sort des employés, de leur sécurité, de la qualité des productions et de protéger mes cinéastes, mais il reste qu’il y a là une plus grande liberté que quand on travaille dans le cadre d’obligations.
Mais, pourquoi j’ai fait le choix? C’est parce que justement, dans la période que l’on vit actuellement, avec ce cadre plan stratégique qui vient d’ être proposé, je sens qu’il y a là une possibilité d’expérimentation du nouvel univers de production (avec l’équipment plus accessible, les multiples plateformes etc. MI) . Et c’est pour ça que j’ai dit ‘’ok, je vais y aller’’. Moi j’ai surtout travaillé avec le programme français depuis 10 ans. J’ai produit beaucoup de films avec eux. Dont le premier: ‘Des marelles et des petites filles’, mon premier, c’était un hit, celui-là. Peut-être que j’aurais pas continué si ça n’avait pas été ça. Nous sommes donc dans un nouveau contexte où je vais pouvoir oser dans une forme de creation et d’innovation. Aussi, pour avoir beaucoup travaillé avec le programme français, je sais bien ce que le programme a vécu depuis 10 ans. Je pense qu’il y a eu 6 ou 7 directeurs. Écoute, c’est ridicule. Une série aussi de malchances. Par exemple, Claudette Viau qui est tombée malade et qui a dû quitter pour des raison de santé, et il y a eu des démissions et de multiples intérims. Virage n’aurait pas réussi comme Virage a réussi – parce que je considère que Virage est une boîte qui a réussi – s’il n’y avait pas eu quand même une direction assez soutenue, avec une certaine cohérence pendant un certain nombre d’années. Virage a fait des choses différentes au fils des ans. Il y a toujours eu un fil conducteur, dans son propos.
Une orientation vers le documentaire social…
Exactement, dans son propos de société même si les cinéastes peuvent l’aborder de façons différentes, même s’ils peuvent poser des questions d’une façon différente que par exemple, moi ou Marcel on les poserait, il reste que ça reste dans cette lignée-là. Bon, je ne pense pas que je ferais un documentaires sur les chihuahuas. (rires) Ou peut-être le faire d’une autre façon. Mais alors là, en acceptant ce poste-là je prends aussi une lourde responsabilité. C’est-à-dire d’essayer aussi d’asseoir une espèce de stabilité, dans un univers de changements. Alors ça, comment le faire… évidemment j’ai des petites idées, … ou des grandes idées ! En fait je pense que c’est ce qu’on attend de moi. On me l’a dit. Et aussi, je pense que c’est ce qui est nécessaire. Je connais mes capacités. Je sais que je suis capable de diriger des équipes. J’en ai fait pas mal dans ma vie. Je sais que je suis capable de mobiliser des gens. J’ai de l’expérience dans ce que c’est: bon ok, on se fixe un but, ok, pis là, on l’a. De stimuler les gens à aller dans une direction.
Un univers qui est à la fois production, mais aussi assez politique . C’est un avantage en travaillant dans une institution comme l’ONF d’avoir une experience variée.
C’est-à-dire d’une expérience de pouvoir fonctionner dans le cadre d’institutions où il y a plusieurs intervenants, il y a plusieurs intérêts et qui parfois peuvent s’entrechoquer. De pouvoir naviguer dans un univers comme celui-là, ça, je suis de ceux-là. Et ça, oui, parce que j’ai fait ça toute ma vie. Ça fait 36 ans que je travaille ! (rires) Je n’ai pas arrêté beaucoup dans ma vie, Alors c’est de l’expérience. Parfois, je dis… parce que à Virage on travaille avec des jeunes personnes. C’est quand même extraordinaire. Virage est fondé au fond, sur un petit noyau de personnes, outre Marcel et moi. Quelqu’un a dû quitter pour des raisons de santé, mais à part ça, les autres sont de jeunes femmes. Sauf exception, c’était leur première job en sortant de l’université. Que ça soit pour Nadège, Isabelle, Stéphanie ou Mélanie. Et donc, 10 ans, 9 ans, 7 ans et j’ai vu comment on est capable de stimuler, d’agir comme mentor, de former, tout en travaillant, tu vois ? Pis ça, je pense que je sais bien faire ça. Alors, moi je quitte Virage, entre autre, parce que comme je leur ai dit: ‘’Allez-y, là, c’est le temps ! Allez-y là ! Je suis plus là, prenez toute la place’’. Et je répéte tout le temps: ‘’Moi je dirgeais la CSN, j’avais 33 ans…’’. (rires) Alors, si j’étais capable de faire ça à 33 ans, vous êtes certainement capable de produire à Virage !
Voici un extrait du communiqué de l’ONF:
Mme Simard se démarque par son appui toujours renouvelé au cinéma socialement engagé, son énergie et sa vision claire pour le développement du documentaire d’auteur. Mme Simard croit profondément en la force sociale du documentaire, aux extraordinaires possibilités du cinéma d’animation et à l’innovation créative que permettent les nouvelles technologies numériques. À titre de producteur public, elle sait que l’ONF peut prendre des risques et, de ce fait, demeure un endroit unique pour conjuguer engagement, création et innovation.
Depuis 1998, Monique Simard est directrice générale et productrice aux Productions Virage, une des principales maisons de production indépendantes de documentaires au Québec. Son premier film produit, une coproduction avec l’ONF, s’intitule ‘Des marelles et des petites filles’…, réalisé par Marquise Lepage. Monique Simard a depuis produit plus d’une trentaine de documentaires réalisés par des cinéastes de premier plan, dont ‘À hauteur d’homme’ de Jean-Claude Labrecque (Jutra du meilleur documentaire 2004), ainsi que plusieurs coproductions avec l’ONF, dont ‘Les réfugiés de la planète bleue’ d’Hélène Choquette et Jean-Philippe Duval. Toujours à l’affût des nouveaux talents, elle a également soutenu des cinéastes de la relève, telles Anaïs Barbeau-Lavalette et Karina Goma. En 2007, elle s’est associée à Turbulent, une des plus importantes firmes de production interactive au Québec, pour la création du site Internet primé de l’émission Le Fric Show, présentée à la télévision de Radio-Canada.
Très active dans le milieu, elle est formatrice en documentaire à l’Institut national de l’image et du son (INIS) et intervient régulièrement dans les médias au sujet du documentaire, du cinéma et de la télévision. Elle est également membre de plusieurs conseils d’administration, comme celui de l’Association des producteurs de films et de télévision du Québec (APFTQ), dont elle préside la section documentaire, et celui des Rencontres internationales du documentaire de Montréal, dont elle est un des membres fondateurs. Elle a été présidente de la Cinémathèque québécoise, en plus d’être cofondatrice et vice-présidente de l’Observatoire du documentaire.
Merci à Simon Bujold, Marie-Ève Tremblay et Georges-Étiennt Bureau pour l’aide avec le blogue.