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Angelina, un des personnages du film De l’autre côté du pays, dans le dortoir ou sa fille Charlotte a été enlevée par les rebelles et gardée captive pendant huit ans.
Les Rencontres du documentaire de Montréal ont commencé en force. J’ai trouvé le choix du film d’ouverture, Junior, un film de Isabelle Lavigne et Stéphane Thibault, vraiment excellent. Les cinéastes ont passé un an à Baie-Comeau sur la côte nord du St.Laurent, immiscés dans une équipe de hockey junior, vivant coup par coup les décisions difficiles que doivent prendre – et surtout subir – des jeunes joueurs qui ont l’ambition de devenir des professionels. Un sujet original, un accès exemplaire, des choix ésthétiques très clairs ( on ne voit jamais le jeu, ce n’était pas le sujet; pas d’entrevues, le vécu est tellement riche on n’en a pas besoin…) Je salue la perséverence des cinéastes mais aussi l’excellent montage de René Roberge et la volonté de l’ONF ( les producteurs Yves Bisaillon et Johanne Bergeron) d’amener le film le plus loin possible.
Parmi les autres films que j’ai vu: De l’autre côté du pays, de Catherine Hébert, produit avec Brigitte Dion dans le cadre de Mango films. Un très beau film sur les victimes de la guerre civile en Ouganda, tourné dans la partie nord du pays. On s’approche des gens d’une façon très touchante, et on prend le temps de les écouter et les connaître. C’est un film dans lequel règne une certaine tension très fructueuse entre l’approche poétique de la cinéaste et les réalités très dures de la guerre. J’en ai parlé avec Catherine qui me dit ce qui suit:
“Le film a été tourné dans la clandestinité. Le gouvernement ougandais ne permet à aucun journaliste ou cinéaste de s’éloigner à plus de 40 km de la capitale. Or, il faut franchir au moins 350 km pour se rendre au nord. Il fallait donc que l’équipement soit léger, discret, mais que la qualité du film ne s’en ressente pas. Aussi, comme les pannes d’électricité sont fréquentes, il ne fallait pas se fier sur le réseau électrique. Nous devions fréquemment recharger nos batteries de caméra à même une batterie de voiture. Le défi technique était de taille. Finalement, vu l’état des routes et l’impossibilité de se retrouver sur les routes la nuit (à cause des attaques des rebelles), se déplacer dans le nord a été particulièrement difficile.”
Cathérine Hébert.
Le choix de faire un film si poétique sur un sujet aussi dur n’était pas évident. Tu peux m’en parler ?
“La première chose que j’ai dite à Annie Jean, le tout premier jour du montage, était que je voulais faire un film qui soit à la fois politique et poétique. Ça a été notre leitmotiv tout au long du montage. Comme j’avais déjà passé beaucoup de temps en Ouganda avant de commencer le tournage, j’avais une idée claire de la façon dont je voulais filmer ce pays et ses gens.
La guerre dans le nord de l’Ouganda est insidieuse, pérenne, sans grands éclats, dépourvue de tout arsenal technologique, mais pourtant omniprésente. Autrement dit, c’est une guerre qui se dévoile plutôt qu’une guerre qui se voit. La beauté des paysages luxuriants et la lenteur nonchalante des gens ne laissent pas deviner, à première vue, la présence d’une guerre continue. On est loin de l’imagerie occidentale de la guerre telle que nourrie par CNN. Il faut rester quelque temps sur place pour sentir un malaise et comprendre la violence étouffée qui enveloppe tout le nord du pays. J’ai dû en tenir compte tout au long du tournage et j’ai voulu me servir de ce contraste entre la beauté du pays et la violence du conflit.
C’est pourquoi j’ai choisi que la guerre soit révélée par des personnages dont le quotidien est façonné par la violence du conflit qui a cours, et par la peur. Le film expose la guerre telle que les gens la vivent maintenant, au quotidien, et qui les oblige à se cacher, à se déplacer, à se battre, à enfanter, à tuer. Tous les personnages révèlent comment la guerre ravage leur vie et quelles formes elle prend : tantôt celle de cohortes d’enfants qui se cachent pour la nuit, tantôt celle de camps de déplacés affreusement bondés.
Je voulais qu’à travers les images, on sente une compassion mais pas de commisération. Trop souvent, les films tournés à l’étranger s’affranchissent mal de l’effet de distanciation. Le documentaire « politique » sacrifie parfois la forme – et c’est inévitable dans certains cas. Je suis toutefois convaincue que lorsque c’est possible, il faut mettre la forme au service du fond et de la dénonciation. Un documentaire peut être à la fois politique et esthétiquement achevé; il peut être une enquête cinématographique corsée, mais délicieusement imagée. Je ne souhaitais pas simplement poser ma caméra sur les personnages : je voulais les accompagner plus que les observer. La caméra est avec eux plutôt que sur eux.
Dans le film, je souhaitais retransmettre cette atmosphère où tout semble paisible. Par le rythme des images et du montage, par la construction sonore aussi, je voulais créer un contrepoint entre, d’une part, le drame évoqué et, d’autre part, la trompeuse sérénité des gens et des lieux. La menace n’est pas ponctuelle, mais continuellement présente malgré l’absence de signes ostentatoires. Cette tension fait partie des nombreuses contradictions propres à l’Afrique et à ce conflit.
Et finalement, il ne faut pas oublier que ces images sont aussi nées de la très grande sensibilité et du formidable travail du directeur photo Sébastien Gros. Elles ont aussi été grandement influencées par les nombreuses discussions d’équipe que nous avons eues, le soir après le visionnement des rushes, avec le directeur photo et Mélanie Gauthier, la preneuse de son, conceptrice sonore du film et fidèle complice.”
Il y aura une autre projection du film samedi le 17 Nov. à 20.15 à la cinémathèque. Catherine Hébert et Raymonde Provencher participeront à un débat sur Femmes cinéastes en pays en guerre mardi le 13 à 20.00. Je vous reparlerai du film de Raymonde, Le déshonneur des casques bleus.