Montréal-Nord – les jeunes

Je vous ai déjà parlé de mon tournage en cours à Montréal-Nord. C’est donc pour un film produit par Jeannine Gagné à Amazone films qui sera diffusé à Canal D. Le processus de ‘casting’ a été long, mais voici mes trois ‘personnages’ principaux, que nous suivons pendant un an et quelques mois.

Danny Raymond - 'Musique X'

Danny Raymond est un jeune homme intelligent qui a des talents de ‘leader.’ Il est plein de projets, mais il ne sait pas comment les réaliser. Ayant vécu dans des foyers de groupe et des familles d’accueil pendant une bonne partie de sa jeunesse, il a beaucoup manqué d’encadrement. Il a décroché de l’école avant de finir son secondaire parce qu’il ne se sentait pas accepté et n’étais pas motivé. Il vit encore chez sa mère qui a déjà été contorsionniste au cirque, alors que son père – qu’il voit maintenant quelques fois par année – était clown avant de devenir plombier.

Danny vient d’avoir 18 ans. Il a récemment été accepté pour un projet au Carrefour Jeunesse Emploi. Danny adore la musique et il participe activement à Musique X, un projet communautaire que nous avons suivi depuis ses débuts. Il adore aussi faire de la bicyclette. Les amis sont très importants pour lui, et nous les filmons souvent ensemble.

Michael Stiverne - 'Musique X'

Michael Stiverne est venu d’Haïti avec son père lorsqu’il avait 10 ans, alors que sa mère est restée là-bas. Le père, chauffeur de taxi au centre-ville, l’a laissé se débrouiller seul et s’occuper de son jeune frère Mickerson. A 22 ans Michael est un jeune homme responsable et motivé, qui a été très apprécié au programme ‘2e Chance’ des Fourchettes de l’Espoir, un organisme communautaire.

Mais il n’a pas toujours été si sage: plus jeune il a été inculpé pour possession d’armes, vols de voitures et trafic de drogue, et il en paye maintenant le prix. Il passe ses fins de semaine en prison, et le restant du temps à se chercher un emploi. Ce qui, pour un jeune noir de Montréal-Nord avec un casier judiciaire n’est pas facile!

Il passe des entrevues de manière assidue, et les employeurs potentiels promettent de le rappeler – mais ne le font presque jamais. Mikerson, 18 ans, a été mis dehors de son école parce qu’il ‘causait du trouble,’ mais comme son frère il est très motivé et essaye de s’en sortir. Il compose de la musique et il chante.

L’absence des parents l’a beaucoup fait souffrir, et il exprime cette douleur de façon touchante. Dans le film nous le verrons notamment raconter l’histoire de sa vie sous forme de rap.

Alex Bryson - 'Musique X'

Alexandre Bryson, 17 ans: ‘La violence, la drogue, les coups de feu, j’ai connu ça très jeune, ça ne m’intimide pas,’ dit Alex. Il a grandi à Pointe-aux-Trembles, parfois chez son père, parfois chez sa mère. Ils déménageaient souvent, et au primaire, il a souvent changé d’école. Dès sa jeune enfance, sa mère – d’origine MicMac- est devenue dépendante de la drogue et s’est même prostituée. A l’âge de 12 ans – le jour de son anniversaire – Alex est parti vivre avec son père. Mais lorsque celui-ci est parti travailler en Alberta, Alex s’est retrouvé en foyer d’accueil.

Alex a aimé l’école, et il avait de bons résultats au secondaire, mais l’instabilité de sa vie familiale l’a amené à décrocher après la deuxième année. Il a pris de la drogue, mais l’exemple de son frère ainé qui est accro et qui a fait de la prison l’a convaincu de laisser tomber. La personne qui l’a le plus influencé, en lui disant ‘tu vaux plus que ça’ c’est sa grand-mère paternelle – qu’il aime beaucoup, mais qu’il admet négliger.

Alex est maintenant de retour chez son père, à Bois-des-Filion. Mais il passe souvent du temps à Montréal-Nord. Intelligent et articulé, Alex passe surtout son temps à improviser du rap, ce qu’il fait très bien, seul ou avec des amis. Il a eu 18 ans le 12 juin 2011. Il a été accepté par le programme Katimavik, et ira passer 6 mois à l’Île du prince Edouard et en Ontario à partir de juin.

Merci à Tobi Elliott pour son aide avec le blogue.

Tournage à Montréal-Nord

Joel, Shellby et Danny à Montréal-Nord.
Joel, Shellby et Danny. Montréal-Nord

Depuis neuf mois – et pour encore six mois – je tourne un documentaire à Montréal-Nord avec le directeur photo Martin Duckworth et notre assistant Franck Le Coroller. Nous sommes plongés dans la réalité quotidienne d’un quartier multi-ethnique défavorisé – un autre monde par rapport au Centre-Ville de Montréal où nous habitons.

Le quartier a fait l’objet d’une couverture médiatique sensationnaliste centrée sur les gangs de rue et la violence et n’a donc pas bonne réputation. ‘L’affaire Villanueva’ qui a vu un policier abattre un jeune homme dans un parc il y a trois ans, a mis en lumière le ‘profilage racial’ et les attitudes discriminatoires de la police. Depuis cette crise, il y a beaucoup d’efforts de changement à Montréal-Nord. Mais les choses changent-elles assez vite?

Au cœur des controverses, il y a la réalité des jeunes hommes ‘à risque’ de Montréal-Nord et c’est là le sujet de notre film. Produit par Jeannine Gagné à Amazone Films avec une license de Canal D et la participation financière de la SODEC et du Fonds des Médias du Canada, il suivra trois jeunes qui font des efforts pour améliorer leur situation malgré le contexte difficile.

Jusqu’à maintenant, notre principal défi a été le ‘casting’: le choix des principaux personnages. Chacun des jeunes que nous choisirons est en lien avec un organisme communautaire qui tente d’aider la jeunesse, et surtout avec des individus clés de ces organismes, travailleurs de rue ou intervenants sociaux.

Dans quelques semaines, je vous présenterai nos principaux personnages. Je vous parlerai aussi d’une formation sur la production vidéo que nous avons donné à quelques jeunes du quartier.

Martin Duckworth tourne à Mtl-N.
DOP Martin Duckworth
MI et Big Joe à Montréal-Nord.
Je mets un micro sur ‘Big Joe,’ Jonathan Duguay, intervenant jeunesse à la Maison Culturelle et Communautaire de Montréal-Nord.

Thanks to Tobi Elliott for help with this blog.

Une expérience émouvante: Alphée et les Étoiles

Alphée & Colin
Alphée, 5 ans, avec son frère Colin, 8 ans.

Il ne m’arrive pas souvent de travailler sur les projets d’autres cinéastes. Mais voici que depuis quelques mois je travaille avec réalisateur Hugo Latulippe sur son film Alphée et les Étoiles et le projet web qui doit l’accompagner.

Hugo est l’auteur de plusieurs long-métrages, dont Bacon, le film et Ce qu’il reste de nous (avec François Prévost), ainsi que de la série Manifestes en série. Alphée, 5 ans, est la fille de Hugo et l’environnementaliste très connue Laure Waridel. Elle est atteinte d’une condition génétique rare qu’on nomme Smith-Lemli-Opitz, qui cause des retards de dévéloppement.

Hugo et Laure sont des amis depuis longtemps, et des personnes que je respecte énormément. Il y a quelques mois, je leur ai demandé si je pouvais faire un film sur eux et leur relation avec Alphée. Hugo m’a répondu qu’il faisait lui-même un film qui s’appellera Alphée et les Étoiles, et du même souffle il m’a demandé si je pouvais l’aider. Il voulait que je fasse les entrevues avec lui et Laure pour le film, et aussi que j’assure la réalisation des tournages pour le site web qui l’accompagnera.

C’est ainsi que j’ai pu passer quelques merveilleuses journées à l’Île Verte avec Hugo, Laure, Alphée et son frère Colin, 8 ans, qui aime, comme moi, jouer aux échecs et aller à la pêche. Les entrevues avec Hugo et Laure ont fait ressortir toute leur réflexion critique sur la question de la ‘normalité’ ainsi que les difficultés et les joies que ressentent les parents d’un enfant atteint de ce type de condition particulière.

Hugo Latulippe
Hugo

Maintenant je travaille avec ma femme Jocelyne Clarke, le directeur photo Martin Duckworth et le directeur de créations web Nicolas St. Cyr à la réalisation d’un démo pour un projet web sur les ‘maladies orphélines.’ C’est l’occasion de connaître d’autres familles avec des enfants atteintes de ces conditions très rares et souvent mal diagnostiquées. C’est une expérience très émouvante.

Et comme chaque fois que je me trouve à suivre des gens qui sont confrontés à des défis vraiment difficiles, je me demande pourquoi, dans notre société, on dépense tant d’argent sur des choses futiles, alors qu’il y a tellement de gens qui auraient besoin qu’on fasse connaître leur situation et qu’on les aide.

Merci à Tobi Elliott pour l’aide avec le blogue.

PIB/GDP: Une conversation avec Hélène Choquette

PIB/GDP: 'Une chance qu'il y a des mots'

An English version of this blog post will follow shortly, with thanks to Tobi Elliott.

Cette semaine: suite à mon petit texte sur le projet multi-plateforme PIB: L’indice humain de la crise économique canadienne de l’ONF, voici une entrevue avec Hélène Choquette, la réalisatrice-coordinatrice du projet.

L’image ci-dessus est tiré de l’excellent photo-essai “Une chance qu’il y a les mots,” qui a comme sujet la jeune slammeuse Marjolaine Beauchamp. C’est une des composantes du projet PIB que Hélène a réalise elle-même.

1. Quelle a été la plus grande difficulté, le plus grand défi du projet PIB? Faire ça bilingue, à travers les solitudes, “coast to coast”? Ou d’autres choses?

Constituer une équipe de documentaristes et de photographes d’un bout à l’autre du pays autour d’un projet commun pendant un an était un défis en soi. Nous avons passé une semaine ensemble en juin 2009 où je leur ai présenté les bases du projet et où tous et chacun a pu partager son point de vu créatif.

Au-delà du bilinguisme, PIB propose des histoires humaines universelles. Quand on regarde la provenance des visionnages, les Québécois ne regardent pas que les films québécois et ainsi en est-il dans toutes les provinces. La résilience et les autres forces dont un humain doit faire preuve lorsque confronté à des situations de crise sont assurément universelles.

Nous avons également constaté que les internautes se reconnaissent dans les récits de gens qui travaillent dans des secteurs d’activité similaires au leur sans égard à la location géographique. En fait, le fait que le site soit bilingue, nous a permis de contrer cet écart linguistique.

J’ai aussi envie de te faire part des qualités du Web que nous avons découvert. Nous n’avons aucune restriction de durée, de nombre d’épisodes ou de cadence de mise en ligne. Nous suivons simplement le rythme naturel de nos histoires et ça c’est franchement merveilleux.

Hélène Choquette - PIB/GDP
Photo Crédit : Marc-André Grenier

2. Je trouve la qualité des petits films ou reportages très inégale, qu’en penses-tu? Raisons?

PIB est un projet pilote où essai et erreur ont une place. Quand il est question de processus créatif, cette notion d’essai/erreur est précieuse. C’est d’ailleurs ce qui a interpelé Fernand Dansereau lorsqu’il a découvert PIB en décembre dernier. Cette possibilité de jouer en dehors d’un cadre établit et sécuritaire.

On demande aux réalisateurs d’être homme-orchestre. Ils font à la fois leur caméra, leur prise de son et évidemment, la réalisation. C’est extrêmement exigeant. Certains sont plus forts techniquement, mais malgré ces limitations techniques, tous parviennent à pénétrer dans l’univers de leur protagoniste.

Bien sur, certaines histoires sont plus fortes, mais toutes ont une pertinence. Ce constat d’inégalité est malheureusement souvent le lot des oeuvres chorales. Cependant comme nous sommes sur le Web, l’internaute a le choix de regarder uniquement ce qui l’intéresse.

C’est étonnant de voir que les films et les essais les plus visionnés ne sont pas toujours les meilleurs d’un point vue technique et même narratif. C’est là une nouvelle donne du Web. L’internaute choisi ce qui lui plaît. Comme documentariste, j’aimerais les inciter à s’intéresser à une histoire plus qu’à une autre, mais je n’ai plus cet aval sur ce public virtuel.

3. Il y a des essais photo qui sont particulièrement réussis, es-tu d’accord? Raisons?

Les essais photographiques avaient pour but premier de documenter les impacts de la crise en régions éloignées. Ce sont des petites oeuvres uniques, donc beaucoup plus faciles à regarder à la pièce alors que la courbe narrative des films évolue pendant un an et prenne leur sens dans le temps. Ils ont une formidable force artistique.

Le web donne effectivement un souffle nouveau à certains médiums qui l’on précédé. La photographie retrouve un souffle nouveau, les photographes ont la chance de pousser leur créativité plus avant et cela m’enchante.

Merci à Tobi Elliott pour l’aide avec le blog.

La crise économique ad marem usque ad marem: PIB

PIB/GDP: 'Famille à la casse'
Copyright: ONF/NFB

Cette semaine à Sunny Side of the Doc à La Rochelle, l’ONF et ARTE France ont annoncé une collaboration pour la production de documentaires pour le web. Ils produiront un documentaire par année, avec un budget de 100.000 $ Can. Les deux ont déjà une expérience considérable avec les webdocs.

Depuis presque un an déjà, l’ONF a mis en ligne un projet majeur, PIB – L’indice humain de la crise économique Canadienne. La Directrice du programme français, Monique Simard, une ancienne dirigeante syndicale et politicienne dont les préoccupations sociales sont bien connues, a pris l’initiative de cette expérience.

Son intuition de départ: la crise économique ne serait pas passagère, et elle serait assez profonde pour changer le cours de la vie de beaucoup de gens. Le projet PIB a permis à beaucoup de cinéastes et photographes à travers le pays de suivre des personnes affectées par la crise. Je n’ai pas regardé tout, évidemment, mais voici quelques impressions.

D’abord, l’architecture du site est impressionnante, le design aussi. On a accès aux histoires racontées dans les deux langues officielles, avec sous-titres au besoin. On peut voir des épisodes multiples dans l’ordre qu’on choisit. On peut commenter, partager, utiliser les médias sociaux pour en parler.

Pour le contenu, je l’ai trouvé très inégal. Il y a d’excellentes histoires, comme ‘Famille à la Casse’, l’histoire d’un couple formé d’un travailleur et une travailleuse de l’automobile, Brian et Cassandra, qui perdent leurs emplois et doivent se battre pour survivre. C’est très dans la tradition du documentaire, sans la structure dramatique mais en échange l’avantage du suivi de l’histoire à travers les épisodes.

La même chose vaut pour un reportage sur une famille immigrée qui tient un motel en Colombie Britannique – on rentre dans leur univers, on comprend les défis qu’il doivent relever et leurs émotions. Parfois une série commence bien, comme cette histoire d’un groupe de jeunes femmes dans l’Ouest qui tentent de sortir de leur endettement – mais à un moment donné il ne se passe plus grand chose, on tourne en rond et on fait du remplissage. Et puis, il y a malheureusement des histoires qui ne donnent pas grande chose, ni côté humain ni côté production.

Daniel Poulin / St-George de Beauce
Copyright: ONF / Photo : Renaud Philippe

Une des plus belles surprises de ce projet est la qualité des reportages photo, réalisés notamment par Renaud Philippe à Québec, Brian Howell à Vancouver, Goh Irotomo et Craig Chivers à Toronto. La photo ci-haut est tirée justemment d’un reportage de Renaud Philippe intitulé ‘Le vouloir c’est le pouvoir’.

La semaine prochaine: une conversation avec Hélène Choquette, la réalisatrice qui coordonne PIB/GDP.

Merci à Tobi Elliott pour son aide avec ce blog.